La relation à sa mère

à la fois la première relation et la plus essentielle

Pour tout être humain, la relation à sa mère est primordiale : à la fois la première et la plus essentielle. Lorsque cette relation à la mère n’est pas harmonisée, il en résulte une blessure systémique grave et cet être humain connaîtra dans divers domaines des problématiques psychologiques et affectives de tout ordre : difficultés relationnelles, sensation d’insécurité ou de déséquilibre, fragilité émotionnelle, sentiment de manque ou insatisfaction chronique, etc. C’est comme si quelque chose, dans la vie de cet individu, restait inachevé ou ne pouvait être accompli.

La relation à la mère est une des problématiques principales à explorer lorsqu’on entreprend un travail systémique, mais pas à la façon dont certaines théories psychologiques essaient de la régler, c’est-à-dire en s’éloignant physiquement ou en prenant de la distance intérieurement.

Il s’agit de la regarder de façon juste, en comprenant un certain nombre d’aspects que nous allons aborder ici, afin de pouvoir retrouver pour cette mère l’amour et la gratitude que nous lui devons, condition sine qua non pour ensuite retrouver de la force et pouvoir vivre plus librement sa propre vie conjugale, familiale, professionnelle, sociale, sans oublier le développement personnel et la réalisation spirituelle lorsqu’on y aspire.

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Une émotion fondamentale

Les humains, mais aussi les animaux, ont une émotion fondamentale : la peur. Émotion paradoxale, car c’est à la fois la peur de vivre et la peur de mourir. Et comment l’enfant (ou l’animal) se sent-il rassuré ? Lorsque sa mère revient, lorsqu’elle est là, situation que beaucoup aiment et recherchent encore aujourd’hui : l’enfant est rassuré quand sa mère le regarde dans les yeux, le prend dans ses bras... C’est parce que notre mère nous a beaucoup manqué que nous sautons si volontiers dans les bras de ceux qui passent… ou que nous refusons tout contact physique avec les autres : réaction opposée, mais issue d’une même cause.

Nous avons tous beaucoup attendu de notre mère, nous avons pensé qu’elle pouvait et devait tout nous donner, qu’elle était même là pour cela. C’est parce que l’enfant attend tout de sa mère et que cette mère ne peut pas tout lui donner que l’enfant lui en veut. Terriblement, même si de façon inconsciente. L’enfant ne peut pas savoir que sa mère n’est pas Dieu, qu’elle n’est qu’une femme avec ses propres manques, faiblesses et autres difficultés.

Une des postures essentielles à adopter par le médiateur est de voir la mère à travers son client, et de voir dans son client ses exigences et ses colères contre celle qu’il prenait pour Dieu.

L’élan interrompu vers la mère est souvent lié à une séparation précoce et brutale de l’enfant avec sa mère : enfants prématurés, enfant né par césarienne, mère et enfant séparés dès la naissance par une maladie grave, dépression postpartum, etc. L’enfant se sent rejeté ou abandonné et ne peut plus retourner sainement vers la mère, car il a peur de souffrir de cette séparation. Pour éviter cela, il préfère ne plus se lier à sa mère. Ce phénomène existe chez presque tout le monde, un peu ou beaucoup.


Le manque de la mère

Pour beaucoup (tous ?), la mère a manqué, au moins à certains moments, dans sa capacité à donner de la sécurité. Nous avons tous été arrachés, et de façon souvent violente, à notre mère au moment de l’accouchement. Certains ont été éloignés de leur mère au cours des premières heures ou des premiers jours après leur naissance. D’autres ont été éloignés dans les premiers mois ou les premières années de la vie.

Plus ce traumatisme est vécu tôt, dans les six premiers mois, plus il risque de créer des failles propices aux dépressions et névroses. Cet arrachement est évidemment vécu (même si ce n’est pas de façon consciente) comme un traumatisme. Parfois, la mère était trop centrée sur elle-même et ses propres problèmes, trop attirée dans une autre direction, ce qui mène à une perturbation symbiotique, un lien trop fort et disharmonieux à la mère (voir article…). Nous donnons à ce mouvement intérieur le nom technique d’élan interrompu. L’élan interrompu s’explique à peu près comme ceci : l’enfant s’est senti arraché à sa mère ou abandonné par sa mère. Que ce soit réel ou qu’il l’ait vécu ainsi ne fait pas de différence : sa souffrance et son angoisse sont telles qu’il a ensuite du mal à retourner réellement vers sa mère. Comme s’il se disait : "Si je me lie de nouveau fortement à elle, elle va de nouveau m’abandonner, on va être séparé et ma souffrance sera trop grande, je ne veux plus souffrir comme ça".

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Lorsque l’enfant est séparé de sa mère au moment précis de la naissance, ne serait-ce que pendant une heure, il ne voudra plus ensuite revivre cette expérience par nature l’une des plus traumatisantes et lourdes de conséquences. Dès qu’il naît, il n’a qu’une envie : rester en contact physique avec celle avec qui il a été intimement en fusion durant la grossesse. Le premier élan interrompu du moment de la naissance est souvent suivi d’autres mouvements interrompus dans les premières années de l’existence.

Il faut du temps et beaucoup d’amour pour que l’enfant retourne vers la mère. Parfois, il ne pourra plus revenir parce qu’il s’est senti trop blessé et ne veut plus jamais ressentir cette souffrance. Les enfants ont bien du mal à retourner vers leur mère et deviennent des adultes qui ont du mal à entrer en relation avec les autres, qui sont en conflit dans leur vie relationnelle, qui créent des situations où ils sont rejetés. Lorsqu’on se sent rejeté ou lorsqu’on rejette soi-même un autre ou les autres, lorsqu’on a l’impression de ne pas pouvoir se réaliser ou concrétiser les objectifs qu’on se fixe, c’est, dans la grande majorité des cas, l’indice d’un problème d’élan interrompu ou de perturbation symbiotique avec la mère.


Un mouvement inachevé

Le petit enfant qui est séparé de sa mère, parfois de son père, est interrompu dans son élan vers la personne qu’il aime et dont il dépend affectivement. Le mouvement d’amour vers l’autre est inachevé, il n’aboutit pas, il n’y a pas de récepteur à l’autre bout de la communication, et ceci constitue une douloureuse blessure chez l’enfant. Comme si ce mouvement tombait dans le néant et l’enfant croit qu’il va mourir ; c’est une douleur insupportable de détresse, d’impuissance et d’abandon qui crée une grande panique chez l’enfant. C’est réellement pour lui une question de vie ou de mort. Il finit par se résigner, mais la blessure reste en lui et cet élan interrompu est à l’origine de bien des névroses.


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Les situations traumatisantes

L’élan interrompu peut être vécu par l’enfant dans des situations très diverses, dont certaines ne sont même pas conscientisées par la mère. Il peut s’agir :

● d’une séparation courte. Maman est appelée de toute urgence à l’école car son autre enfant vient d’avoir un accident et elle laisse le petit chez une voisine.

● d’une séparation longue : l’enfant est mis en couveuse, le papa part travailler à l’étranger, l’enfant est placé chez une grand-mère ou dans un institut parce que les parents ne peuvent plus assumer…

● d’une rupture dans l’élan affectif : l’enfant a cueilli un magnifique bouquet de pissenlits et rentre heureux à la maison pour l’offrir à maman, qui est occupée à faire le souper et ne porte que peu d’attention à ce geste d’amour. Ou l’enfant vient de se coucher et il attend maman, en vain, pour le câlin du soir.

● d’une rupture parce que la mère/le père est malade, absent ou indisponible parce que pris dans ses propres intrications.

Conséquences :

l’enfant est blessé et a du mal à revenir, il ne peut plus courir vers la mère. Il a tellement souffert qu’il décide de ne plus se rapprocher, même s’il aime encore sa mère, mais il ne veut plus faire cette expérience douloureuse à l’âge adulte, l’élan interrompu se transforme en une grande difficulté à se sentir en lien avec les autres, en relation avec le vivant. Privés de l’attachement à l’autre et du lien sécurisant, tous deux indispensables, nous sommes confrontés à une grande détresse psychique, émotionnelle et affective, et nous intériorisons ces manques comme un vide en nous. Pour ne pas risquer de revivre une situation si douloureuse, nous réfrénerons ce mouvement naturel qui nous pousse à aller vers l’autre.

Nos parents non plus, n’ont pas pu créer de liens avec leurs propres parents. La mère a-t-elle perdu un père à la guerre, se retrouvant orpheline, sans les repères structurants du père ? A-t-elle été abandonnée à la naissance ? Ou sa mère est-elle morte en couches ? Qui manque à la mère ? Où va son énergie : un de ses parents, un enfant non né, un frère ou une sœur ?


Difficultés dans la vie

Suite à un élan interrompu, l’enfant, pour se protéger, se retire en lui, se referme, met de la distance entre lui et les autres. Sa déception est grande et il ressent beaucoup de chagrin, de désespoir. Il se méfie. Des schémas de pensée se développent : "Je vais me débrouiller seul", "Je ne fais pas confiance", ". quoi ça sert ?" ou "à quoi bon ?" Ces enfants deviennent solitaires et ont beaucoup de ressentiment ou se réfugient dans l’indifférence. Ils vont jusqu’à couper le contact avec celui qui est cause d leur souffrance. Ils ont du mal à exprimer leur affection et à se laisser toucher, au sens propre comme figuré. Ils prennent peu de risques pour communiquer.

A l’âge adulte, ils ont du mal à avancer, à aller au bout de leurs entreprises. Ils ont tendance à tourner en rond et démissionnent facilement. Ils se sentent vides, déprimés, ils ont du mal à tisser des liens et à garder un partenaire, mettant en place des programmes de sabotage dans leur vie de couple. Ils pensent que la vie est absurde et ne vaut pas la peine d’être vécue. Ils sont sans énergie, se sentent sans valeur, inexistants : mieux vaut renoncer à vivre que prendre le risque de revivre un tel trauma. Pour combler ce vide intériorisé, certains deviendront boulimiques, d’autres fumeront, ou auront recours à l’alcool ou aux drogues et s’enfermeront dans des comportements addictifs. D’autres se construisent un monde imaginaire qui les met hors de la réalité.


Restaurer le lien grâce aux constellations


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L’élan interrompu se répare au cours du protocole de résolution des perturbations symbiotiques dès que l’énergie de la mère est de nouveau disponible pour son enfant et que les intrications sont traitées. Il s’agit en tout cas de reprendre le mouvement là où il a été interrompu alors que la personne était enfant, et ceci se fait par petits pas et avec du temps.

Comment fait-on ? La procédure la plus simple et de placer la fille ou le garçon en face de la mère, puis de regarder et laisser faire jusqu’à ce qu’ils soient dans les bras l’un de l’autre, signe que le problème est réglé. Il faut juste être patient car le mouvement peut prendre beaucoup de temps. Mais c’est un excellent travail à faire par les constellateurs avec leurs clients. Lorsqu’on dispose de moins de temps, on peut accélérer le processus de résolution en demandant au représentant de l’enfant de s’incliner devant la mère, ce qui peut aller jusqu’à s’allonger devant elle, paumes vers le ciel. C’est ainsi que l’enfant peut de nouveau recevoir les forces de la mère. L’enfant ensuite se relève, la mère le prend et le garde dans ses bras, quelle que soit l’attitude de cet enfant : parfois, il pleure ; parfois, il se débat, mais on demande à la mère de le garder quand même, jusqu’à ce qu’il devienne visible qu’ils s’aiment et qu’ils sont détendus tous les deux. Selon les situations et le lieu où l’on se trouve, on peut utiliser divers autres protocoles encore… car un lien d’harmonie retrouvée avec la mère est le garant d’une vie beaucoup plus épanouie et épanouissante.


IDRIS LAHORE

Article publié avec l'aimable autorisation de la revue Science de la Conscience.


Nuits de la réconciliation avec les ancêtres